COURTILLES

 



COURTILLES

Courtilles, construit sur un petit plateau, surplombe de quelques mètres les plaines inondables par la Sumène.
Il est situé au croisement de deux chemins, celui de Vebret à Saignes par Couchal et celui de Chastel à Saignes par La Monthélie, rejoint par le chemin de Serre. Courtilles a été de tout temps un lieu de passage important.
Autrefois, (voir plan cadastral 1820) la route Vebret-Saignes passait à l'intérieur du village divisant celui-ci en deux quartiers un peu rivaux.
Le premier se prévalait d'être situé le long de la route et avait dans son secteur la chapelle et le four du village, c'était paraît-il le quartier "bourgeois" en apposition au deuxième qui allait vers ce qui a été le moulin et était appelé "la bariade".
Enfin, et surtout, Courtilles a été le siège d'une "Commanderie". Les Templiers puis les Hospitaliers de St Jean de Jérusalem y ont séjourné.

LE MOULIN DE COURTILLES

Nous sommes à la fin du 17ème siècle, Courtilles possédait le four du village mais n'avait pas de moulin. Pour "Moudre", il fallait aller à Cheyssac, les chemins étaient mauvais et certains habitants de Courtilles n'entretenaient pas de très bonnes relations ni avec les propriétaires du moulin, ni avec le meunier de ce village.
L'idée vint aux habitants de construire un moulin bien à eux. Entre l'idée et la réalisation il y eut bien des difficultés à vaincre, car il n'était pas question de faire appel à une entreprise, il fallait presque tout réaliser par les moyens du village.
Pour faire tourner un moulin, il faut de l'eau, il fallait creuser la "pellière" et celle-ci devait obligatoirement traverser un pré appartenant à l'abbé Léonard FARREYROLLES curé de Vebret (fonctions qu'il cumula pendant 20 ans avec celles du Prieur du Vignonnet). Celui-ci fit quelques objections mais finit par accepter en demandant quelques petites compensations.
Le creusement du canal et la construction du barrage sur la Sumène se fit en quelques six mois. Il est bien évident que tous ces villageois déguisés en terrassiers et maçons étaient aussi pêcheurs (j'allais dire braconniers). Ils prirent des truites et des anguilles. L'affaire vint aux oreilles du curé qui s'étonna de ne pas en avoir su le goût (les pêcheurs apportaient toujours quelques truites au curé, c'était la coutume). Il se rendit sur le chantier, en fit gentiment la remarque et au cours de la discussion, il leur apprit que le dimanche suivant, il recevait des autorités religieuses et qu'un plat de belles truites lui ferait plaisir...
En plus des truites, nos pêcheurs attrapèrent un énorme saumon (à l'époque, il n'y avait pas les barrages sur la Dordogne et saumons et anguilles remontaient jusque chez nous).
Attraper ce saumon à la main ne fut pas une mince affaire. C'est le curé et sa servante qui restèrent perplexes devant cette bête de 12 livres, le premier pour inviter suffisamment de monde, la seconde pour l'accommoder.
Après les semailles, tout le monde se mit à la construction du moulin proprement dit : la maison et son agencement intérieur.
Enfin, tout fut terminé, les frais répartis équitablement (le curé versa sa contribution). De mémoire d'homme, aucun village n'avait réussi à mener à bien une telle réalisation, d'où la fierté des "Courtillous". Le curé vint bénir le moulin et on put moudre.
Un certain Jean DELPEUX fut choisi comme meunier. Mais les habitants exigèrent la rédaction d’un acte de cession. Celui-ci fut rédigé par Maître BARRIER, notaire royal en août 1708. Il imposait au meunier de moudre gratuitement pour les villageois, d'entretenir la "pellière” et le moulin en état, le four et le pont en bois dit "pont de Courtilles". Dans ce bail, il était dit que le meunier avait la possibilité de construire un moulin à chanvre et un moulin à huile.
Les années ont passé, les meuniers se sont succédés, les meules ont écrasé des tonnes de seigle à la satisfaction générale. Le dernier meunier que certains d'entre nous ont bien connu : Antony JOUVE, exerçait pendant la dernière guerre. Pendant ces hivers de restriction, son moulin à huile a fonctionné sans relâche, chacun y apportant noix et noisettes pour repartir avec sa précieuse denrée... 
Puis les minoteries se sont installées, les sacs ont perdu l'habitude de prendre le chemin de Courtilles et les meules se sont un jour définitivement arrêtées de tourner.


LE PONT DE COURTILLES
Depuis la signature du fameux bail, l'entretien du pont était donc à la charge du meunier. Nous sommes en 1837 et bien des choses avaient changé, la révolution. La création des communes, la mise en place d'une administration qui avait classé les chemins. Celui empruntant le fameux pont était à la charge de la commune. Un jour, une des poutres principales du pont cassa et Engressat le meunier de l'époque ne voulut rien savoir pour faire cette réparation.
Il était au courant de la nouvelle réglementation et alla trouver le Maire M° BARRIER pour lui signifier que c'était à la commune d’assurer cette réparation. Celle-ci, hélas, n'avait pas d'argent (c'est curieux, un siècle et demi plus tard, la municipalité actuelle attend toujours la subvention départementale pour remettre en état le chemin de Courtilles).
M° BARRIER demanda au meunier de faire encore une fois cette réparation et ce serait les habitants qui se chargeraient du transport des matériaux. Excédé par l'exigence du Maire et les plaintes des villageois, le meunier jura de se venger. Il choisit deux énormes chênes dans les endroits les plus difficiles d'accès. Les difficultés d'abattage et de transport furent paraît-il à la mesure de ce qu'espérait le meunier.
Ce pont en bois fut remplacé par un pont en "dur" en 1892, probablement au moment où la route de Saignes a contourné Courtilles. En ce qui concerne ce pont, la DDE de l'époque aurait pu le prévoir beaucoup plus large, c'est bien dommage !

LA CHAPELLE DE COURTILLES
Les origines de cette chapelle sont inconnues, aucune archive ne fait mention de la date de construction. Seuls deux compte-rendus de visites par la hiérarchie des Hospitaliers conservés aux archives du Rhône, sont parvenus jusqu'à nous. L’une a eu lieu le 7 août 1640 par le "Visiteur Général" de la Commanderie de Pont-Vieux. En résumé, il est dit ceci :
En arrivant, nous n'avons pas trouvé le vicaire qui dessert cette chapelle située au milieu du village. Plusieurs habitants se sont présentés et nous ont dit qu'il ne disait plus la messe dans la dite chapelle et que le curé n'y vient que le jour de la Saint-Jean dire la messe et prendre les offrandes. La porte nous a été ouverte par un habitant. Nous l'avons trouvée toute voûtée et peinte, un autel en pierre, son marbre sacré dessus. Trois fenêtres dans le chœur, bien vitrées, deux dans la nef sans vitres. Le sol est pavé de cailloux de pays, la toiture est en lauzes, un clocher à peigne à deux ouvertures où sont placées deux petites cloches."
Suit la liste des objets du culte trouvés dans la chapelle.

La deuxième visite a eu lieu en 1772 par François de BOSREDON, chevalier de justice de l'ordre de Jean de Jérusalem. On trouve les mêmes descriptions que ci-dessus mais la chapelle apparaît en plus mauvais état : tant et si bien qu'il est demandé au “Commandeur" d'intervenir pour la suppression ou l'abandon de la chapelle dont l'entretien est onéreux et d'aucun intérêt.
Ces deux compte-rendus situent la chapelle “au milieu" du village, ce qui assez flou. Le plan relevé en 1766 par M. D'ESMARTY ne laisse aucun doute, elle était au sommet du rocher où s'élève actuellement la maison habitée par la famille RISPAL.

Cette petite chapelle, orgueil des habitants du village, fut incendiée en 1789.
Elle était dédiée à Saint-Barthélemy qui avait paraît-il le pouvoir de faire gagner les procès à ceux qui venaient l'implorer.
Considérée comme bien national, les ruines furent vendues avec l'emplacement. L’acquéreur y fit construire une maison à quatre pans et sur la façade un cadran solaire. Une croix faîtière datée de 1799 a été retrouvée dans la grange


QU'EST-CE QU'UNE "COMMANDERIE” ?

A Courtilles, il est une maison, ou ce qui en reste, appelée "Chez le Commandeur". C'était la demeure du “Chevalier" qui avait la charge d'un domaine. Ces domaines étaient donnés en “commendes", c'est-à-dire en concession à des "Chevaliers" qui encaissaient les revenus. De ce mot commende, nous vient le mot de Commanderie. Une commanderie pouvait désigner aussi bien un tout petit domaine qu'un grand palais, elle jouissait de privilèges importants, comme l'exemption de la taille (impôt direct en France sous l'ancien régime) et autres impositions.
Le plan relevé en 1766 montre les biens, entourant le village de Courtilles, appartenant aux Hospitaliers.
Mais la commanderie de Courtilles avait des biens en dehors du village. Les archives de l'ordre de Malte déposées à Lyon font état de procès envers des exploitants de Verchalles, de Saignes, de Saint-Etienne de Chomeil, etc...
La commanderie avait paraît-il installé à Couchal une papeterie en 1440. (C’est dommage qu'elle ait disparu, nous pourrions peut-être faire concurrence aux papeteries d'Ambert).
La commanderie de Courtilles était "membre" de la commanderie d'Ydes laquelle dépendait de la Commanderie de Pont-Vieux, commune de Tauves dans le Puy-de-Dôme.


L'ORDRE DU TEMPLE
C'est en 1118 que quelques chevaliers se réunirent à Jérusalem pour créer un ordre à la fois monastique et militaire dont la mission était d'assurer la garde des lieux saints de Palestine et de protéger les routes des pèlerinages.
Dix ans plus tard, le concile de Troyes donne une constitution à l'ordre des Templiers. C'était un ordre de moines soldats liés par des voeux religieux de pauvreté, de charité, de chasteté et d'obéissance. L'ordre reçut très rapidement des biens considérables, terres et trésors donnés par les grands de l'époque pour lui permettre d'aider les croisés et construire en terre sainte. Ils inventèrent un système bancaire et créèrent la lettre de change.
Le roi de France leur confia la gestion de son trésor tant et si bien que les Templiers devinrent une puissance à la fois morale, militaire et surtout financière (le voeu de pauvreté ne devait plus prévaloir que pour les moins gradés de l'ordre).
En fait, c'était devenu un État dans l'état. Le roi Philippe le Bel en prit ombrage et en octobre 1307, les forces de la police de l'époque furent chargées de saisir tous les Templiers de France et de les mettre au secret, les accusant des pires turpitudes. Sous la pression du roi, le pape Clément VI réunit un concile à Vienne, lequel prononça la suppression de l'ordre en 1312. En dehors du numéraire saisi par Philippe le Bel (en fait, le but du Roi était de saisir le "Trésor des Templiers" pour redresser les finances en piteux état) : les biens des Templiers furent dévolus à leurs rivaux : l'ordre des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, ou Hospitalier qui avait été créé quelques années avant l'ordre du Temple.

L'implantation des Templiers en Auvergne ?
Les archives ont disparu. Certains auteurs tel l'Abbé H. Bouffet (revue de la Haute Auvergne) situe leur arrivée en Haute Auvergne moins de 50 ans après la fondation. Un autre considère que l'église d'Ydes aurait été construite par les templiers et serait un des restes de cet ancien "temple". Mais un troisième (R. OURSEL, Routes Romanes) situe d'après les études de style, cette église terminée entre 1130 et 1150 et doute qu'une vingtaine d'années après l'institution de l'ordre, ils aient pu faire édifier un tel monument. Donc, rien de précis concernant la date d'implantation dans notre région. Rien de précis non plus en ce qui concerne l'antériorité d'Ydes sur Courtilles.
Les études de l'abbé H. Bouffet ne donnent aucun renseignement sur ces commanderies qui dépendaient de la commanderie de Pont-Vieux (commune de Tauves, Puy de Dôme), donc pas de la Haute-Auvergne, contrairement à Salers.


L'ORDRE DE SAlNT-JEAN DE JÉRUSALEM ou HOSPITALIER

Contrairement aux Templiers qui s'occupaient d'opérations de bourse et disputaient aux Juifs et aux Lombards le monopole de la finance, les Hospitaliers s'adonnent à la charité.
Créé à la même époque que les Templiers, cet ordre avait pour mission de venir en aide et de soigner les pèlerins des croisades. L'ordre comportait des "Frères servants" qui assuraient les soins, les "Chapelains" qui se consacraient au service de l'Église et les "Chevaliers" qui pouvaient combattre l'infidèle, l'épée à la main.
Les immenses donations qui leur furent faites en Europe étaient organisées en réseau à partir de petites cellules qu'étaient les "commanderies". Le vieux continent fut découpé en 8 régions dites langues : Provence- Auvergne ; France ; Italie ; Aragon-Navarre ; Castille-Léon ; Portugal ; Angleterre et Allemagne.


La révolution française abolit les privilèges et dans un premier temps imposa à l'ordre de payer les charges fiscales. Puis tous les biens appartenant aux ordres monastiques furent confisqués puis vendus. Ceux de Courtilles furent adjugés en 11 lots, le 11 Brumaire de l'an III de la République (1er novembre 1794) pour la somme de 7039 livres.
Les ruines de la chapelle et son emplacement furent vendues 864 livres à un certain Guillaume RISPAL d'Ydes.


Bibliographie :
- "le moulin de Courtilles" de Narcisse JOUVE
- "Templiers et Hospitalier en Haute Auvergne" de l'Abbé BOUFFET
- "Extraits des archives du Rhône" aimablement communiqué par M. Roger BESSE
- "Bulletin du GRHAVS" (présidente Mme LAPEYRE).

Jean TOURNADRE (janvier 1996)