VILLAGES ET FERMES DISPARUS SUR LA COMMUNE DE VEBRET

 

 

Il subsiste dans notre commune des vestiges de villages, hameaux ou fermes disparues,
M. Jean-Claude RIVIÈRE a effectué d'importantes recherches tant sur l'origine des noms des lieux de la commune que sur les villages disparus. Il a bien voulu rédiger pour le bulletin, un article très documenté sur les "villages disparus". Au nom du comité de rédaction, je l’en remercie. Voici son texte.

J. TOURNADRE (janvier 1997)



Dans son Dictionnaire historique et statistique du Cantal, paru pour la première fois en 6 volumes entre 1852 et 1861, Deribier du Châtelet, originaire du château de Cheyssac et à l'époque conservateur en chef des Archives départementales du Cantal, écrit à la fin de l'article qu'il consacrait à Vebret (article en fait rédigé par un de ses collaborateurs, E. Delalo) : 

"On remarque dans la commune de Vebret les vestiges de plusieurs villages qu'une affreuse épidémie dépeupla au commencement du XVIIème siècle et qui ont cessé d'être habités depuis cette époque". Mais l'auteur ne donne pas d'autres précisions.
Aux archives départementales du Cantal, sous la cote 365F6 sont conservés des éléments de brouillon du dit Dictionnaire trouvés dans les papiers du général de Négraval en provenance d'un autre collaborateur de Deribier, H. de Lalaubie.

 A la page 23 de ce document, on lit ceci : " on remarque dans la commune de Vebret les ruines d'anciens villages qu'une affreuse épidémie dépeupla au début du 17ème siècle, tels que ceux de la Serre et de l'Afferaud près de Chaissac, les Grangiers près de la Besseyre et de Montpigot, Mousac sous les Essards, la Pestitie, la Roderie, les Cousans nouveaux, les Chastetoux près de la Vergne de Cousans et sur la rivière de Rue dans les bois et infinité d'autres rappelés dans les anciens titres".

M. Brudi, ingénieur chargé de la révision du vieux cadastre dit "napoléonien" (même si à Vebret, il date en fait de 1827), en 1946-48 prétendait - je ne sais d'après quelles sources - que cette épidémie de peste se serait située en 1621. Nous pouvons tout de suite écarter cette date car la mairie de Vebret a conservé les registres paroissiaux, avec la liste des baptêmes depuis 1618 : à compter de cette date, on n'enregistre aucune baisse numérique sensible dans les naissances qu'aurait immanquablement provoqué une épidémie d'une telle ampleur.

Les divers documents mis à jour par Ph. Olivier tant dans les AD du Cantal que dans celles du Puy de Dôme (en particulier dans le fonds Deribier) et chez certains particuliers (par exemple, la famille Véchambre-Noël à Montpigot) nous ont permis de préciser les données concernant les villages et fermes disparus sur la commune de Vebret.

1) La furale : en auvergnat, c'est la fura ou furau, sans doute de l'adjectif latin feralis = ”sauvage"; cf un lieu-dit dans le Lot "lous Ferals" avec ce sens... C'est l'Afferaud du brouillon de Deribier.
Ce village est celui des paradoxes sans doute assez important (15 parcelles de l'ancien cadastre portent ce nom), il semble avoir disparu à date assez ancienne puisque aucun document à notre disposition à l'heure actuelle n'en fait mention, en dehors du précédent. Il dut sans doute être frappé par la Grande Peste Noire qui se déclara en France à partir de 1348. Mais cette terrible maladie est déjà signalée à Mauriac en 1335 et à Aurillac en 1346. Entre 1345 et 1356, les registres consulaires de St-Flour font état d'une disparition de 48% des foyers fiscaux ! En basse Auvergne, elle se manifeste plus tardivement : à Aigueperse en 1373, à Riom en 1383, à Clermont en 1391 (1).
Mais il est le seul des villages disparus dont des vestiges sont encore visibles (voir emplacement sur la carte jointe) même s'ils sont de plus en plus enfouis dans les broussailles. Mais les anciens de Verchalles se souvenaient de vestiges plus conséquents.
Selon les traditions orales plus ou moins légendaires, il semble avoir été un village maudit. Avant sa destruction à cause de la peste, il aurait été un village de lépreux auquel les habitants de Verchalles et de St Thomas venaient apporter de la nourriture, à mi-chemin. Cette tradition qui m'avait été rapportée par le regretté Louis BOUTAREL est développée de manière dramatique par Hervé JOURNIAC dans son ouvrage "la Vallée des Chevaliers", pages 22 et 23 (Sté pyrénéenne d'édition, Toulouse 1985).
Quoi qu'il en soit, certains maléfices semblent attachés à ces lieux.
Selon M. Brudi, lors de la peste, les habitants de Verchalles auraient incendié le village, occupants compris, pour se protéger de l'épidémie !

Un lieu-dit situé à proximité s'appelle "la Tombe de la Femme" (en auvergnat "la toumba de la fina") sans que personne n'ait pu me préciser à quel événement précis cette dénomination faisait allusion.

Dans ses mémoires inédits concernant l'édification au début du XVIIIème siècle du moulin de Courtilles, Narcisse Jouve parle dans le même secteur d'une Combe des Morts qu'il nous a été impossible de localiser, faute de renseignements.

2) La Serre : Ce village était situé à proximité de l'actuelle carrière Persiani. Dans l'ancien cadastre, 5 parcelles sont dénommées "Roche de Cerf" où l'on peut voir une confusion avec "la Serre". On peut également supposer sans trop s'aventurer que les deux lieux "les Chabanes", situés l'un à proximité, l'autre de l'autre côté de la route de Bort représentaient ce village et ses dépendances : il aurait donc eu, lui aussi, une certaine importance.

Il est encore mentionné en 1584 dans le terrier de la seigneurie de Cheyssac (2) : "... un tenement appelé de la Serre composé de chazaulx, de maisons et granges et champs, boix et repastils par indivis avec les autres habitants de Cheyssac".

Le village était donc abandonné à cette époque, mais des maisons et des granges étaient encore en bon état, puisqu'il y est aussi question de "chazaulx", c'est-à-dire de bâtiments en ruines. On peut donc en conclure que toute la population avait disparu de façon brutale puisque tous les biens, même les bâtiments étaient devenus la propriété commune des habitants de Cheyssac.

En 1755-56, il est encore question d'une "Coste de la Serre" et d'un "tènement de la Serre"(ad du Pd-Dôme C2780), appellations qui ont disparu dans le cadastre de 1827.

3) (Le) Moussê  : Village appelé "Mousac" par Deribier. Il est représenté par deux parcelles situées au pied du plateau du Bouchet et par un "Couderc des Moussê".

La forme Montser donnée par le terrier de Cheyssac permet de le rattacher à monticellus = "petite colline" et au nom de famille bien connu Monsel. En 1584: il n'est déjà plus qu'un lieu-dit et aucun autre document n'en fait état.

4) Grangier : Encore un village qui paraît avoir été assez important : 16 parcelles portent ce nom, réparties depuis Champassis et Montpigot jusqu'à la Besseyre. Le centre paraît avoir été situé sur la voie ferrée Bort-Neussargues (aujourd'hui abandonnée).

Il avait survécu à la grande Peste puisque nous en avons une première mention en 1431 (mansum de Grangier, mansum représentant soit un village, soit une ferme isolée); il est encore signalé en 1462 et en 1584 (dans le terrier de Cheyssac) et les registres paroissiaux mentionnent encore un baptême en 1656. Mais il devait être en déclin et ne plus compter qu'une ou deux fermes, car entre 1618 et 1656, on n'y a célébré que 9 baptêmes pour une moyenne annuelle d'une trentaine pour la paroisse de Vebret (à comparer, en passant, avec les chiffres actuels !).

5) (Les) Couzans nouveaux ! Quatre parcelles portent ce nom en 1827 : elles sont situées à gauche du chemin de Couzan à la Vergne, au-dessus du Pré des égards. Le moulin actuellement en ruines devait faire partie de ce village.
On en a une seule mention en 1431 dans une pièce en latin : "...mansum, tenementum seu boriam vocatum de Cozen lo Viel et Cozen lo Neuf'; Ce qui peut s'interpréter ainsi :"... un bâtiment rural, un territoire cultivé, c'est-à-dire une ferme appelée Couzans le Vieux et Couzans le Neuf".

6) La Bonetie : Deribier la confond avec la Ganette, ce qui est inexact puisque 3 parcelles portent ce nom entre La Champ et La Ganete proprement dite.

Le Dr Louis de Ribier dans son ouvrage “Saignes : la commune, le canton (Paris 1930, p.17) signale son existence en 1397. En 1431, on trouve encore un "mansum de la Bonetia”.

7) La Pestilie : La Pestitie chez Deribier. Les témoins interrogés ignorent tout de cet endroit. Le vieux cadastre indique un Bos de Pestily (A 882) au-dessus de La Vergne de Couzans, à peu près au lieu-dit aujourd'hui "le Perche".

L. de Ribier l'a recensé en 1397 sous le nom de "Pestilie". En 1431, on trouve mention d'un "affarium de la Pestelia", un afar en occitan représentant un bien rural, plus particulièrement un domaine cultivé. En 1465, on trouve encore un "mansum de la Pestelia";

8) La Roderie : En 1827, c'est le n° A 266 du cadastre qui indique "chazal de la Roderie", donc une maison ruinée. L. de Ribier l'appelle "la Rodésie" (!) en 1397. En 1431, on a un "affarium de la Rodeyria" et en 1465, "un mansum de la Rodeyria ou de la Rodayria". Les registres paroissiaux y enregistrent une naissance en 1654 et une autre en 1659.
L'abandon de cette ferme a donc dû survenir dans le courant du XVIIIème siècle.

9) Les Chastetoux : En fait, il faut sans doute lire Chasteloux, diminutif de Chastel.
Aucune trace de ce village n’a pu être trouvée dans un document quelconque ni dans la mémoire des témoins consultés.
Si l'on en croit le brouillon de Deribier conservé aux AD du cantal, ce hameau aurait été localisé dans les bois de l'Ourceire, à proximité de la Rhue. Tout ce qu'on trouve en 1465, c'est un "affarium vocatum de la Orceyras" (= "un domaine appelé "des Ourcevies"").

10) Divers : Deribier parle "d'une infinité d'autres (villages disparus) rappelés dans les anciens titres".
Effectivement, certains documents invoquent des fermes et des domaines ruraux qu'il ne nous a pas été possible de localiser avec certitude.

C'est le cas du terrier d'Auteroche et de Couzans rédigé en latin et daté de 1431 qui cite un "mansum de real Bagho", ces deux derniers termes représentant sans doute le nom du tenancier du domaine. On a encore un "pré Bajou" à Couzans, en bordure du ruisseau le Soulou qui indique peut-être la localisation de cette ferme.

Le même texte parle d'un "affarium, tenementum seu boriam vocatum de la Charneyria situm in manso de la Vernha" ; mais nous n'avons rien d'approchant dans le secteur de la Vergne de Couzans. Et encore un "affarium, tenementum seu boriam vocatum de la Bastida, ac "affarium de la Malapeyra" qui, d'après le contexte paraîtraient se situer dans les environs de Couchal. Le lieu-dit de la "Maga Peira" (= "la Mauvaise Pierre"), situé à côté de la Montélie, est le seul susceptible d'évoquer le second.

Le terrier de Trizac, Antignac, Vebret et Vozers (= Auzers) de 1397 énumère 3 fermes dans la région de Prunet: "Affarium vocato del Fossart - de Prat lac - de la Jarigha". Nous avons seulement un Pré la(c) qui permet de situer le 2ème : Fossart ne peut guère être rapproché que de Fossanges, et encore c'est une hypothèse bien hasardeuse; quant au 3ème il demeure inconnu.

D'autres lieux-dits, par leur forme même, suggèrent qu'ils ont pu désigner des endroits autrefois habités : telles les Chabanes que l'on a près de la Gare d'Antignac et près de Prunet ; tel grand pré situé derrière l'église, la Vaisserie (en auvergnat la Vissiïô), formation typique pour indiquer une ferme isolée, etc. Les passer tous en revue nous entraînerait trop loin et sortirait du cadre de cette étude.

En conclusion, on peut dire que la disparition des fermes et villages sur la paroisse de Vebret n'a été ni aussi soudaine ni aussi brutale que le prétend Deribier. En tous cas, le début du XVIIème siècle ne semble pas pouvoir être retenu comme seule date.

Certains, comme la Furale et le Moussê ont disparu très tôt, sans doute lors de la Grande peste Noire qui sévit dans la deuxième moitié du XIVème siècle. Nous sommes sûrs que la Serre n'était pas habitée à la fin du XVIème siècle, même si de nombreux bâtiments semblent avoir encore été en bon état. D'autres, comme Grangier et la Rodérie, l'étaient encore au XVIIème siècle.

La peste était devenue endémique (c'est à dire susceptible de résurgences périodiques et limitées dans l'espace et le temps) dans la région. Pour la Basse Auvergne, P Charbonnier en signale une poussée sensible à Clermont en 1631.

D'autres épidémies, choléra, variole, fièvre typhoïde, dysenterie, etc. ont aussi joué leur rôle dans le taux de mortalité élevé à cette époque-là ; et ces fléaux sont restés endémiques jusqu'au début du XIXème siècle.

Parmi les autres causes d'abandon de villages, comme le signale G. Audisio, il faut aussi compter avec les guerres : celle de cent ans, bien sûr, dont notre région eut particulièrement à souffrir, mais aussi tout le long du XVIème siècle, les Guerres de Religion qui ne l'épargnèrent pas non plus.

J.C. RIVIÈRE (janvier 1997)

1)Les renseignements sur la peste en Auvergne proviennent de deux articles : P. CHARBONNIE : "les villages perdus de la région des Dômes", dans le Bulletin philologique et historique du comité des travaux historiques et scientifiques. Actes du 90ème Congrès des Sociétés Savantes ; Nice 1965 ; pages 364 et suivantes.
G. AUDISIO " La peste en Auvergne au XIVème siècle", dans la Revue d'Auvergne ; tome 82, n°4, 1968 ; pp.257-267;

2) Ce terrier, propriété de Madame de Grully de Tautal-haut, commune de Valette, provient de l'étude de Me BARRIER. Mme de Grully nous en a fait faire des photocopies : qu'elle veuille bien trouver ici l'expression de nos plus vifs remerciements ! La seigneurie de Cheyssac comprenait les terres de Cheyssac, des Essards et de Rochemont. Il est une mine inestimable de renseignements pour les lieux-dits de ce secteur de la commune de Vebret.


Jean TOURNADRE & J.C. RIVIÈRE (Janvier 1997)